Un nouveau podcast arrive en ville !





Yann et Ismaël sommes comme deux locataires qui habitons un même lieu et parlons aux murs. Ce lieu c’est le cinéma et les murs sont les films contre lesquels nous sommes longtemps revenus nous cogner dans l’espoir de les traverser, cherchant derrière telle scène, telle image, telle ombre, une porte dérobée. Ça ressemblait à toutes ces vieilles rengaines qu’on raconte depuis l’aube des temps, de la caverne de Platon à la matrice de sœurs Wachowski en passant par le Magicien d’Oz.

Nous sommes allés jusqu’à coller un stéthoscope sur la cloison pour tenter de déchiffrer les conversations secrètes, les cris, les chuchotements, les gémissements et les rires étouffés qui semblaient venir des voisins qui habitaient de l’autre côté de l’écran. « Il y a là tout un monde » se disait-on. Qu’on se remémore le générique de Mindhunter la série produite par David Fincher : un magnétophone à bande interrogeant le monde des morts et des vivants afin d’enregistrer le moindre indice. Y a-t-il un mince filet de sens à capter parmi tous ces échos ? La plupart du temps, on y croit, tels ces inspecteurs du FBI, et on prend même des notes dans l’espoir de reconstituer l’affaire que représente chaque film. D’autres fois, fatigués de cette fièvre herméneutique et paranoïaque, on perd patience et, à la façon d’Harry Caul, on précipite le mouvement en s’attaquant aux murs qui nous entourent à grands coups de masse, histoire d’y voir plus clair. Forcer les films et leurs interprétations comme on perce des coffres forts : on trouve parfois un trésor, d’autres fois des clous ou un paquet de pâtes à partager ! 

D’autres fois encore, on désespère, on se fait à l’idée d’être seuls, on se dit qu’il n’y a jamais eu de voisins en réalité, ni de vérité, et que les films n’ouvrent sur aucun horizon. C’est pas plus mal de voir les choses comme ça finalement et surtout ça ne nous empêche pas de parler mais différemment, comme on parle d’ustensiles, de voitures, de fringues ou de sport, pas la peine de chercher un autre monde derrière tout cela. Pas besoin non plus de chercher à savoir s’il existe un propriétaire des lieux. D’autant que, si on finit par trouver cet enfoiré, il ne manquera pas de nous demander de payer un loyer. Pas besoin de chercher un sens à tout ça, on peut aussi prendre les choses et les films simplement comme ils viennent et comme nous sommes. Voilà peut-être le secret. Pas besoin d’écrire non plus. Ecrire au bout du compte est toujours un acte policier, du renseignement ou carrément de la délation (qu’on dénonce un autre ou soi-même c’est pareil), on n’écrit toujours qu’un rapport. Recensions, comptes-rendus, portraits, fiches, il y a là toutes les armes de l’état civil. On nous a longtemps bassiner avec ce vieil adage académique selon lequel les écrits restaient et les paroles s’envolaient mais nous savons bien maintenant que c’est le contraire ! Seule la parole compte, c’est sous son feu qu’on succombe, qu’on renaît, elle est le secret même de toute chose. Ceux qui apprennent à écrire avant d’avoir su apprendre à converser avec les autres sont les fossoyeurs de notre monde. La cinéphilie - ce fut sa gloire - a longtemps porté cette vérité, cette tradition orale où il fallait parler des films, traverser la nuit dans le transport d’interminables discussions. Il paraît que c’est ce que continue à faire Martha Argerich à presque 80 ans : elle joue toujours bien sûr mais passe surtout des nuits entières à parler de musique. Personne plus qu’elle pourrait se réfugier dans le silence et laisser son incroyable talent s’exprimer, elle qui est un monstre de technique, un prodige du clavier. Mais non, elle s’obstine à parler, se lance dans des conversations sans fin, reprend chaque fois tout à zéro, que ce soit avec des profanes rencontrés ici ou là ou des musicologues chevronnés, chaque nouvelle nuit est l’occasion de tout remettre sur la table, de refaire le monde.  On l’imagine en pleine conversation derrière la vitrine d’une brasserie parisienne un soir d’hiver, ou en héroïne cassavettienne hâbleuse et divine, un peu ivre aussi, dans le confort d’un salon new-yorkais. En résumé : refaire le monde oui, le penser non (ou alors par mégarde), il faut laisser cette activité un peu grossière à ceux qui écrivent des livres et des statuts, et nous réfugier quant à nous dans le dernier lieu viable sur cette terre : l’espace de la conversation.







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